Par Michel Bouchard
Lorsque les militaires planifient une attaque contre une cible, ils s’assurent de minimiser les impacts sur les personnes et l’environnement rapproché de l’objectif principal. Hélas, ce n’est pas toujours possible de parvenir à ses fins sans faire de dommages collatéraux. Dès lors, lorsque vient le moment de donner l’assaut, il est primordial de calculer les coûts et les bénéfices dans lesquels on se lance. À la fin de l’hiver 2020 est apparu dans le spectre de notre monde un nouveau virus. Un ennemi invisible, contre lequel les gouvernements du monde devaient orchestrer une défense. Un combat en terrain pratiquement inconnu, contre un belligérant imprévisible. C’est dans ce contexte, que tous les pays du monde se sont lancés dans un virulent combat, en naviguant à vue et en utilisant un paquet de stratégies de type ballon d’essai.
C’est dans cette perspective que la lutte du printemps dernier fut chaude contre la première vague du Covid-19 et les conséquences désastreuses. C’est avec un confinement à géométrie variable, d’une région à l’autre, une politique de distanciation et des consignes sanitaires rigoureuses que nous en sommes venus à surfer sur cette première vague sans trop de dommages collatéraux. Après un été relativement calme, où un semblant de retour à la normale est venu nous faire oublier que nous étions les deux pieds sur une planche, en train de voguer vers une deuxième vague, nous devions reprendre le flambeau. Donc, ce fut le retour à la case départ, après un congé bien mérité, notre gouvernement nous a demandé de revenir aux barricades pour affronter la deuxième salve de ce satané virus. C’est à ce moment que j’ai commencé à me poser la question suivante: « Est-ce que le prix à payer pour continuer cette lutte n’est pas trop élevé »? Au printemps dernier, j’y allais de conclusions hâtives sur la Covid-19. C’est maintenant le moment d’y aller d’une liste de constats des dommages collatéraux dans notre lutte au coronavirus.
Constats de départ avant de faire la liste:
- Politiquement, il fallait réagir et le gouvernement devait limiter les dégâts. Dans ce cas-ci, le gouvernement a voulu limiter le nombre de morts et les hospitalisations;
- Je ne suis pas un complotiste, mais un esprit critique qui continue de faire ce que le gouvernement lui demande, mais qui se pose des questions sur ses objectifs.
Les dommages collatéraux
- Décrochage scolaire et l’augmentation des inégalités:[1]
- La situation: De mars à juin, les élèves qui fréquentaient l’école secondaire ont été privés d’école. Depuis le début du mois de septembre, les autorités jouent au yoyo de l’isolement. Lorsqu’un cas est déclaré dans un groupe de 35 élèves, la classe est isolée pendant 14 jours. Dans ce contexte, il y a, par exemple, des élèves qui n’ont pas fréquenté l’école pendant 28 jours à l’automne. Depuis le milieu d’octobre, les élèves de secondaire 4 et 5 doivent fréquenter l’école une journée sur deux. Pendant l’autre journée, la fréquentation est virtuelle. Cette mesure a été étendue aux enfants de secondaire 3. Enfin, lors des présences à l’école, les adolescents doivent rester dans leur « classe-troupeau » pendant toute la journée(dîner inclus). Depuis, le gouvernement jongle avec l’idée de fermer les écoles pendant un mois aux fêtes. Petite question: qui va garder les enfants ? Les grands-parents?
- Les dommages:
- Combien d’adolescents pourront passer au travers de ces défis du confinement? Il est trop tôt pour en parler, car les chiffres ne sont pas au rendez-vous, mais nous pourrions faire face à ce que j’appellerais: «une tragédie nationale». Celle où une pourcentage significatif des étudiants prendrait la décision malheureuse de quitter ses études[2], en raison de la situation actuelle. Une décision qui pourrait être occasionnée par une perte de motivation scolaire et l’attrait d’aller travailler lors des journées virtuelles, surtout dans un contexte de pénurie de main d’oeuvre;
- Le fait de fréquenter l’école à mi-temps et de penser que tous les apprentissages se font (selon l’éminent ministre de l’Éducation Jean-François Roberge) sans problème est une fumisterie. C’est plutôt une manière de creuser les écarts dans notre société. Il ne faut pas penser que tous les enfants du Québec ont accès à un ordinateur et à une connexion internet suffisamment performante pour l’école à distance. L’inégalité est flagrante en temps normal entre les élèves qui fréquentent le réseau privé et ceux du réseau public. La pandémie ne fait qu’accentuer le fossé qui les sépare.
- Le décrochage sportif;
- La situation: Au mois de mars dernier, il a fallu arrêter complètement les activités sportives. Après une pause de près de trois mois, le sport a pu reprendre ses activités «à peu près» normalement pour la période estivale. Ceci a créé un certain élan d’optimisme, car tous les gens avaient oublié la pandémie. Avec l’arrivée de la deuxième vague, le gouvernement Legault a pris la difficile décision de confiner tous les sportifs vivant dans les zones rouges. Depuis le 8 octobre, la pratique sportive est complètement interdite. Cette interdiction qui devait s’échelonner jusqu’au 28 octobre a été étendue au 23 novembre. Il est fort à parier que nous continuerons dans ce sens jusqu’au temps des fêtes;
- Les dommages:
- Le simple fait de cesser les activités sportives aura comme impact de pousser davantage de jeunes vers le décrochage sportif. Bon an mal an, c’est le tiers des enfants de 10 à 17 ans qui décrochent de leur sport.[3] La pandémie n’améliorera sûrement pas la situation;
- Cette pause sportive est extrêmement dommageable pour la santé physique et psychologique de tout le monde. On voit les millions entrer dans la valse des soins psychologiques. Nous sommes encore dans l’approche curative plutôt que d’être dans la prévention.
Aujourd’hui, je me suis attardé aux conséquences reliées aux jeunes. Il est grand temps de changer de paradigme. L’obsession des autorités sanitaires à vouloir prévenir l’infection est néfaste pour une bonne partie de la population et surtout les jeunes. Ces dommages collatéraux seront, selon la santé publique, éventuellement pris en compte. Un changement de cap est non seulement souhaitable, mais primordial pour éviter la catastrophe. Comme disait un grand philosophe du monde contemporain qui avait tendance à déformer les expressions: « Ce n’est que la pointe de l’asperge ». La mort de gens âgés constituant la pointe et les autres conséquences, l’angle «mort» de la pandémie.
N.B. Dans la deuxième partie sur ce sujet, que je ferai après la période des fêtes, je me pencherai sur d’autres conséquences reliées aux mesures sanitaires. Il y sera question des morts dus à la Covid-19( suicides, maladies non traitées, ETC.) de l’augmentation de la consommation d’opioïdes, de l’augmentation des troubles mentaux et du niveau d’anxiété globale. Je pourrais discuter d’économie et de dette, mais mon texte serait trop long pour la capacité de lecture de bien des gens.
Michel Bouchard
[1] Je concentre mon attention sur les élèves du secondaire.(12 à 17 ans) Il est important de comprendre que la situation n’est guère plus reluisante pour les jeunes du primaire et de ceux qui sont aux études post-secondaire.
[2] Il y a près de 25% des élèves qui ne décrochent pas leur diplôme d’études secondaires dans le temps prescrit, donc 30% de jeunes garçons.https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/81-604-x/2019001/tbl/tbla2.1-fra.htm