Par Michel Bouchard
Du point de vue de l’observateur extérieur, plusieurs pensaient que Biden n’avait qu’à faire une petite ballade dans le parc pour se hisser à la tête de la première puissance mondiale. Ce ne fut pas le cas et la soirée du 3 novembre a été pour les partisans de Joe Biden, très difficile. Comment imaginer que ce personnage puisse être reconduit pour un deuxième mandat, malgré son incompétence évidente ? La seule explication possible, de ce résultat serré, n’est sûrement pas du fait qu’il ait 70 millions d’imbéciles aux États-Unis. Cette affirmation est grossière et Hillary Clinton en avait d’ailleurs fait la douloureuse expérience en 2016, lorsqu’elle avait qualifié les électeurs de Trump de « basket of deplorables ». Cette généralisation abusive, par rapport aux supporters de Donald Trump, fut probablement déterminante dans le résultat de 2016 et il convient de la nuancer. La réalité est beaucoup plus complexe et une réflexion est nécessaire pour en saisir ses différentes subtilités, afin de comprendre cette victoire ardue de Joe Biden.
Premièrement, il est important de bien saisir que le vote traditionnel en faveur du parti républicain et démocrate se situe à plus de 40%. Dans l’histoire récente des États-Unis, il faut remonter à 1972 pour voir l’appui à l’un des deux grands partis en dessous de cette barre.[1] Chez les républicains, cette base électorale est essentiellement composée d’électeurs ayant des convictions conservatrices et qui n’appuient pas nécessairement Donald Trump, mais les valeurs que représente le parti républicain. Pendant ses quatre années à la tête des États-Unis, Trump s’est continuellement affairé à conforter cette base. Des électeurs sensibles aux questions d’immigration, de sécurité, d’économie… À ce 40%, il faut ajouter les quelques points de % qui se retrouvent dans la frange du 16 à 20% des électeurs plus malléables et qui sont plus sensibles au message du péril socialiste, qu’incarne le parti démocrate. À titre d’exemple, il y a beaucoup d’efforts qui ont été déployés en Floride pour séduire l’électorat latino originaire de Cuba et du Vénézuéla. Des électeurs ayant fui des régimes socialistes. Il ne faut pas oublier que les stigmates de la guerre froide sont encore bien présents aux États-Unis et que le terme «socialiste» est généralement associé au communisme soviétique, alors qu’ici il n’a pas la même signification.
Deuxièmement, il ne faut pas négliger la « hauteur » que se donne le parti démocrate et leur mépris qu’il affiche à l’égard des sympathisants républicains. Un électorat qui n’aime pas être considéré comme étant inférieur, en raison de ses convictions conservatrices et de son «supposé» adoration de Donald Trump. Malgré tout, celui-ci a trouvé un écho auprès de ces personnes en les défendant bec et ongles contre l’intelligentsia démocrate, et en leur donnant une voix, celle d’un «outsider» qui n’a pas fait carrière en politique. Il est important de saisir que cet élément a été crucial dans le choix électoral de plusieurs, car Donald Trump incarnait ce choix. En contrepartie, Joe Biden était le digne représentant de l’« establishment » de la politique américaine. Ce n’est pas pour rien que Donald Trump l’a rappelé à plusieurs reprises, lors du cacophonique premier débat présidentiel : « I’ve done more in 47 months than he’s done in 47 years and that’s absolutely true ».[2]
Par la suite, il ne faut pas négliger la division du parti démocrate et la faiblesse du candidat désigné. Ce n’est pas que Donald Trump était une « superstar », encore que pour certains c’est le cas, mais il faut se questionner sur le candidat choisi, par les électeurs démocrates, pour livrer le combat à l’obtention des clés de la Maison-Blanche. Joe Biden, est un «vieux» de la politique, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’a pas tendance à faire rêver la frange éduquée et idéologiquement à gauche de ce parti. Un regroupement de jeunes disciples qui sont encore au parti démocrate en raison du travail de sape de Bernie Sanders et qui sont sensibles aux messages de justice sociale, d’accès aux soins de santé et de la catastrophe nationale que représente l’endettement étudiant aux États-Unis. Tout ceci témoigne d’un manque d’unité au sein du parti démocrate et le reflet d’une déconnexion avec une partie de ces électeurs. Ce facteur a sûrement eu un impact non négligeable sur les résultats, car plusieurs de ces électeurs se considèrent comme des orphelins politiques aux États-Unis. Une campagne qui nous a permis de constater qu’il était bien loin du temps du «Yes, We Can» …
Enfin, la campagne en elle-même fut assez révélatrice de ce qui ne fonctionne pas aux États-Unis et de la grande fracture idéologique qui a, à mon sens, défavorisé les démocrates. Cette division a été visible à travers le ton et la manière de faire la campagne. D’un côté, il y avait des partisans démocrates inquiets et soucieux des conséquences de la COVID-19 et qui ont joué la partie en phase avec les règles sanitaires. Une joute de « pépère » qui n’a pas réussi à rejoindre une partie des électeurs indécis du 20% de l’électorat «prenable» et plus libre idéologique. Des électeurs qui ont été séduits par des républicains plus proactifs et à l’écoute d’un message assez répandu aux États-Unis: « Il ne faut pas arrêter de vivre à cause de la pandémie et il ne faut pas négliger l’économie.» En ce sens, les différences dans la manière de mener la lutte, a certainement été un élément important des résultats finaux.
En conclusion, de considérer les plus de 70 millions d’électeurs qui ont appuyé Donald Trump comme étant des «imbéciles» ou des «deplorables» est excessivement réducteur. L’objectif de ma réflexion était de tenter d’expliquer les raisons qui ont poussé près de 50 % des Américains à appuyer Donald Trump. À la fin de tout ceci, Joe Biden a gagné son pari et est devenu le 46e Président des États-Unis. La victoire devait être plus facile, mais elle a tout de même été acquise. À partir de maintenant et malgré l’entêtement de mauvais perdant de Trump, il devra trouver le ton juste pour pouvoir devenir le Président de tous les Américains. La tâche sera ardue, car les fractures américaines sont nombreuses et il est à espérer que Biden pourra être celui qui pourra recoller les morceaux de cette Amérique meurtrie et qui a perdu beaucoup de plumes dans le dossier de son leadership mondial et de la fascination qu’elle a toujours exercée à l’étranger en tant, que pays des «tout est possible.»
[1] En 1972, le républicain Richard Nixon avait servi une véritable raclée à McGovern qui n’avait recueilli que 17 grands électeurs et un peu plus de 38% d’appuis au suffrage universel.